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Interview chromatique n°2 - Couleurs du temps

Il y a quelques temps, je me suis lancée dans une mission qui me tient particulièrement à cœur : celle de partager le travail d’autres créateurs et créatrices. Je m’intéresse plus particulièrement à l’aspect chromatique que l’on retrouve dans leur travail, que la couleur soit au cœur de leur création ou bien plus en périphérie. Dans tous les cas, la couleur est un moyen privilégié d’aborder des questions pertinentes autour du design et plus largement de la création. J’espère par son biais vous faire découvrir de nouvelles personnes et leurs techniques, ainsi que toutes leurs ambitions créatives ou plus personnelles.




Je vous propose donc aujourd’hui de faire la connaissance de Caroline Courtois, créatrice de la marque Couleurs du Temps.

Si ce nom vous est déjà familier, c’est peut-être parce qu’un de ses projets est actuellement en cours de financement participatif sur Ulule, jusqu’au 28 octobre 2018.

Intriguée par les couleurs de ses jolis médaillons, j’ai voulu en savoir plus sur la genèse de son projet et sur sa méthode de travail, bien à elle.

Je vous emmène donc avec moi dans le monde fascinant et en plein renouveau qu’est celui de la teinture végétale...






Juliette : Bonjour Caroline, peux-tu m’expliquer comment tu en est venue à la teinture naturelle ?

Caroline : Pour répondre à cette question, il faut remonter dans le temps, plus précisément à mon projet de diplôme aux Arts Décoratifs de Strasbourg. Alors en option design, je me suis intéressée au temps qui s’écoule et à ses conséquences sur notre environnement, ainsi que sur les objets qui en font partie.

C’est alors que, de fil en aiguille, j’ai découvert la technique peu utilisée de la teinture par fermentation. Cette technique consiste à rassembler, dans un bocal hermétique, la matière colorante, la fibre puis de laisser le soleil remplacer la plaque électrique d’un bain de teinture traditionnel.

C’est après des mois de tests et de péripéties, que je suis enfin arrivée à une méthodologie fiable pour créer un nuancier de couleurs représentatif du temps qu’il fait. Ainsi, en utilisant la même fibre, en même quantité, la même teinture dans les même proportions et en exposant au soleil de la même manière, je peux obtenir chaque jour des variations de saturation de la même couleur. Car en fonction de l’ensoleillement, de sa durée et de la température extérieure, la couleur obtenue à la fin de la journée sera différente.




J : À partir de cette (re)découverte, tu as décidé de créer la marque Couleurs du Temps, en appliquant ta méthode sur des carrés de soie, pourquoi ?

C : Après mon diplôme, j’ai travaillé quelques temps à la conception des accessoires chez Maje, tout en gardant toujours la teinture à l’esprit.

Petit à petit, je me suis rendue compte que la part de création manuelle me manquait réellement, j’ai alors créé ma propre marque, Couleurs du Temps, en utilisant la technique mise au point lors de mon diplôme.

L’idée de l’appliquer sur un carré de soie est venue comme une intuition : accessoire intemporel qui dure dans le temps, on attache à ce carré une valeur presque sentimentale, on le garde près de soi, on le transmet, on en prend soin. Cette conception de l’accessoire, et au-delà, de la mode, est plus en accord avec mes valeurs personnelles. Par le biais de ce foulard, j’ai à cœur de créer un accessoire intemporel, qui dure dans le temps plutôt qu’un accessoire saisonnier qui sera démodé ou abîmé dans quelques mois.

Pour mettre en application ce que j’avais envie de transmettre, je me suis mise à teindre des carrés de soie tissés près de Lyon, ville qui compte encore des soieries traditionnelles de haute qualité.




J : C’était donc le point de départ de Couleurs du Temps. Tu as ensuite ajouté des motifs sur tes carrés de soie, par quel moyen sont-ils « imprimés » ?

C : Encore une fois, j’ai fait la découverte d’une technique très peu utilisée aujourd’hui, que j’ai voulu m’approprier pour pouvoir la reproduire sur mes produits et ainsi, la faire perdurer.

Lors d’une formation à la teinture naturelle auprès de Sandrine Rozier et Michel Garcia, j’ai entendu parler de la « sérigraphie par mordançage ». [Ndlr : Si vous n’êtes pas familier avec la teinture naturelle, je vous conseille de lire l’article de Caroline sur ce sujet. Elle y explique, entre autres, ce qu’est le mordançage.]

J’utilise donc la technique d’impression qu’est la sérigraphie en remplaçant l’encre par une pâte de mordançage à base de sulfate de fer, qui va rendre la teinture plus sombre qu’avec un mordançage plus classique à base d’alun.

Une fois l’impression faite, je plonge mon carré de soie dans son bain de teinture et c’est à ce stade que le motif se révèle. Il est plus sombre que le reste du carré de soie, et est « imprimé » recto-verso sur la soie, sans vraiment la recouvrir car il est en fait incrusté dans la fibre.

Cette technique me permet donc de garder un tissu souple et sans effet carton là où se trouve le motif. Chaque jour est une surprise car le motif s’imprime lui aussi de couleurs différentes suivant les teintures sélectionnées, le temps d’exposition au soleil et le temps qu’il a fait.




J : Dans ton travail, tu mixes donc plusieurs techniques que tu revisites, cela te tient donc à cœur ?

C : Oui, d’une manière plus globale, j’aime m’inspirer des techniques anciennes pour les remettre au goût du jour et les intégrer dans des processus de réflexions actuelles. Elles me permettent de parler des questions qui nous préoccupent aujourd’hui, notamment celle de la durée de vie des objets et de la valeur qu’on leur donne. Pour moi, ces anciennes techniques donnent un tout nouveau sens à ces objets. Par ma technique de teinture naturelle par exemple, j’aime me dire que je propose une alternative poétique à la météo.

J : Ton projet de médaillons, actuellement un financement participatif, s’inscrit-il dans cette démarche ?

C : Ce projet est un moyen de faire connaître ma technique de teinture, et aussi une astuce pour pouvoir teindre ma soie chaque jour.

Les carrés de soie (90x90 cm) sont grands à teindre et de très haute qualité, ce qui implique qu’ils ont un certain coût. Il m’était donc impossible d’en teindre chaque jour sans avoir la certitude de le vendre par la suite.

Ainsi, le cœur du médaillon est beaucoup plus petit, ce qui me laisse une grande liberté, car je peux plus facilement teindre chaque jour une petite surface. Mes clients pourront donc choisir la date dont il veulent garder une trace et l’avoir toujours près d’eux grâce au format du médaillon.

Ce projet me permet donc de dépasser les limites que je m’étais fixées par l’utilisation de grands formats et aussi de réduire le coût des objets que je propose.

Il sera donc accessible à un plus grand nombre de personne, qui, je l’espère, (re)découvriront cette belle technique de teinture par le biais de mes objets.




Un grand merci à Caroline d’avoir répondu avec précision à toutes mes questions !

Sa page de financement participatif

[jusqu’au 28 octobre] : fr.ulule.com/couleurs-du-temps

Crédits photos : Couleurs du Temps



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